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Instagram est-il encore fait pour les créatifs ?

Ça fait bien un an et demi qu’on partage entre nous, créatifs, notre fatigue à propos d’Instagram et peut-être que vous en avez entendu parler, peut-être pas du tout. Difficile de voir toutes les pressions qui se jouent derrière une story, un nombre de followers ou un post.


Je suis suffisamment vieille pour me rappeler l’époque où il n’y avait pas de pub sur Instagram : On ne suivait que des gens qu’on connaissait, les utilisateurices postaient essentiellement des photos de leur plats et avaient une utilisation outrancière des filtres. Le réseau est rapidement devenu l’eldorado de tout créatif qui souhaite gagner en visibilité et faire sa promotion, détrônant les blogs et les autres réseaux comme tumblr, deviantart ou Behance. Aujourd’hui Instagram c’est devenu l’enfer pour certain•es.



Du portfolio d’artiste à la marketplace

Si le milieu créatif s’est approprié Instagram, c’est pour de bonnes raisons. Tout sur Instagram est pensé pour mettre en avant le visuel dans une interface immaculée et où le texte est plutôt pensé comme une légende. On est plus proche d’une scéno de musée que d’un tweet quoi. C’est gratuit, ça ne nécessite aucune compétence particulière comme l’exige un site internet. Et c’est une manière extrêmement simple pour être présent.e en ligne et avoir de la visibilité, puisqu’il y a un monde fou. Du petit créateur qui vend ses produits sur Etsy à la designer qui cherche à être repérée par une agence, tout le monde s’y croise. Alors qu’est-ce qui s’est passé ?


Après son rachat par Facebook en 2012, Insta à beaucoup changé : les publicités par les annonceurs font leur apparition en 2015 et à peine un an après, Facebook change le fonctionnement du feed Instagram jusque là chronologique. À partir de ce moment, un algorithme va propulser les contenus jugés les plus pertinents pour votre profil en premier. Donc même si vous vous abonnez à quelqu’un sur Instagram pour suivre ses posts, ça ne veut plus dire que vous les verrez. On va donc bien au-delà de favoriser les contenus de certains, on est passé en mode punitif.


[ Au moment ou je publie ce billet, Instagram est en train de tester un nouveau système de feed en 3 catégories, certain•es espèrent un changement favorable pour les artistes, jusqu'à présent je tiens à souligner que ça n'a jamais été en notre faveur. Affaire à suivre ]


Qu’est-ce que ça signifie ? Et bien que pour être visible il faut soit payer (comme les marques), soit être un Instagrameur.euse exemplaire dans les critères très exigeants d’Instagram. Rachel Reichenbach a très bien détaillé dans un de ses articles les dernières exigences : il faudrait poster chaque semaine 3 posts de feed, 8 à 10 stories, 4 à 7 reels et 1 à 3 IGTV. Il faut donc être très très productif.ve et régulièr.e sans interruption, sans quoi vos propres followers vous verront de moins en moins dans leur feed.



À quoi se confrontent les créatifs ?

Pour une grosse marque qui paie un.e community manager ou une agence de com pour s’occuper de ses réseaux sociaux, cette petite révolution a peu d’impact. Pour une personne en freelance qui vend ses productions sur Etsy ou sur son site et qui utilise Instagram pour sa com, c’est un enfer. Ça signifie plus de travail pour créer des contenus, augmenter la cadence de sa production, passer un temps monstre sur la plateforme à mettre en ligne et modérer. Ça signifie partir en vacances en sachant qu’à son retour, elle aura perdu des followers et de la visibilité. Ou bien devoir sortir un budget Instagram pour faire des posts sponsorisés.


C’est tout simplement irréalisable.


Toutes ces injonctions poussent les artistes à produire plus, au détriment de la qualité de contenu et à se forcer à créer des contenus qui ne leur correspondent pas forcément (faire des Reels quand on est pas à l’aise devant une caméra, il n’y a pas plus awkward). S’ajoute à ça une pression grandissante sur le nombre de followers, le taux de visibilité et le nombre d’interactions avec ces followers.


Depuis maintenant un an je vois beaucoup d’artistes évoquer leur fantasme qu’Instagram tombe. Mais ces mêmes personnes ne partent pas de la plateforme, de peur de se faire oublier, sans la visibilité qu’Insta leur a apportée jusque là.




Hacking & solidarité

Le premier réflexe, c’est de chercher à éviter le problème comme très souvent. Les idées de hacks pullulent et les créatifs se font passer le mot. On crée des chaines de partages pour booster la visibilité de quelqu’un, puis on se rend la pareille. Lorsqu’un·e artiste se fait censurer par Instagram, on se mobilise pour aller liker et partager le post en question. On apprend par cœur les critères de l’algorithme pour réagir au maximum avec solidarité et générosité. Parce qu’on sait qu’il n’y a pas qu’un algorithme, il y a surtout une communauté super et des créatifs qui donnent beaucoup d’énergie pour créer du contenu de qualité.


Pour ce qui est de la censure, il y a beaucoup de comptes militants qui en font les frais (LGBTQ, féministe, écolo, antiraciste) mais aussi des créatifs. Instagram est aujourd’hui truffé de dessins et de textes auto-censurés : des émojis stickés sur les tétons des croquis de modèles vivants, des fesses floutées sur des photos à but uniquement artistique, des glyphes glissés dans certains mots problématiques pour l’algorithme. C’est le prix à payer pour parler de nud*té, de s3xe ou encore de lesbi$nnes.




Un exode bien entamé

Puisqu’aujourd’hui Instagram est pensé pour que vous puissiez voir uniquement ceux qui on les moyens d’être vus et bien les créatifs indépendants n’ont pas d’autres choix que d’aller chercher de la visibilité ailleurs.


Il y a des alternatives assez alléchantes qui se présentent : beaucoup d’illustrateurices sont parti•e•s sur Tiktok. La communauté est encore très jeune, le format vidéo les force à réinventer la manière dont iels présentent leurs créations et il y a une vraie effervescence créative sur ce réseau qui fait un bien fou après les contraintes d’insta. Je suis récemment allée tester comme d’autres l’appli Artfol. Malgré quelques soucis techniques, l’interface est vraiment pensée pour les artistes et les fonctionnalités sont riches. Et puis il y a à ma grande surprise Linkedin. Si un jour vous m’aviez dit que je posterais mes illustrations sur Linkedin, je vous aurais ri au nez. Pour moi c’était aussi vieillot que “Copains d’avant” et aussi austère qu’une déclaration URSSAF. Et bien nous voilà, Linkedin ! Comme beaucoup d’autres, je me suis mise à y poster du contenu, à échanger dessus, à faire des rencontres et à suivre des personnes qui m’inspirent.


Ce ne sont que 3 exemples parmi d’autres. Il ne tient qu’à nous de conquérir d’autres plateformes, d’être plus exigeants avec nos outils de communication et de continuer à nous questionner sur la place des réseaux sociaux dans notre travail.

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