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Photo du rédacteurSandra Muller

Typographie & écriture inclusive

Tout n’est finalement pas à jeter dans cette année 2020. En l’espace de quelques jours, nous avons pu voir pousser comme des pâquerettes plusieurs articles, tweets et posts Instagram parlant de typographie inclusive.


Le genre des mots


Oui vous avez bien lu ! Inclusive. Ça faisait longtemps que vous n’en aviez pas entendu parler hein ? En 2015, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie un Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe et lance une campagne pour valoriser l’écriture inclusive. En 2017, est publié le premier Manuel d’écriture inclusive puis le premier manuel scolaire rédigé selon les conventions de l’écriture inclusive. Et puis d’un coup, après avoir vu de vieux messieurs de l’académie française devenir tout rouge et quelques hommes suer sur les plateaux télé et aux micros de certaines radios, plus rien. Du moins c’est ce que l’on pensait.


Pour ce qui est de la langue française et de comprendre l’écriture inclusive, je vous laisse vous instruire de votre propre chef avec les quelques références que je vous laisse en fin d’article. Moi, ce dont je veux vous parler, ce n’est pas du genre des mots, mais du genre des lettres.


Dernièrement, on a vu apparaitre sur les réseaux sociaux un engouement pour un jeune designer, Tristan Bartolini, étudiant à la HEAD, dont le sujet de diplôme a été gratifié du prix Art Humanité 2020 par la Croix-Rouge de Genève. Son projet s’intitule « L’inclusif·ve » et ça donne ça : 



Une typographie pensée pour favoriser, grâce à de nouveaux caractères, une écriture plus neutre. exit le masculin qui l’emporte sur le féminin. Déjà, en tant que directrice artistique, je ne peux que me réjouir de voir des médias comme les Inrocks s’intéresser au sujet de diplôme d’un étudiant d’art, qui plus est quand celui-ci parle de typographie. Et en tant que féministe, je ne peux que me réjouir de voir qu’en quelques années, l’écriture inclusive est devenu un sujet d’intérêt.


Les militant·es queers et féministes


Seulement voilà, ce n’est pas la première personne à s’être intéressée au sujet et encore moins la première à avoir crée une typographie inclusive.


En 2017, Roxanne Maillet & Clara Pacotte créent Amils Agitels, un fanzine réunissant des textes engagés sur les questions LGBTQI+ et présentant des caractères nouveaux permettant d’accorder le français de manière non genrée.


Depuis, la collective Bye bye binary (oui oui, c’est une collective) a réalisé depuis 2018 de nombreuses typographies inclusives. Vous pouvez découvrir tout leur travail sur leur super site et leur compte Instagram



Malheureusement (ou comme d’habitude plutôt), quand ce sont des féministes qui créent quelque chose, on en entend difficilement parler et, si c’est le cas, on considère encore une fois ça comme une lubie (spoiler : non. Je vous invite à lire Le sexe des mots : un chemin vers l’égalité de Claudie Baudino) et que c’est une violence faite à notre belle langue et à notre alphabet latin.


Mais alors, comment ça marche ces typographies enrichies ? Le principe est simple. Que ce soit la collective Bye bye binary ou Tristan Bartolini, le processus est le même : intégrer des caractères nouveaux dans les différentes polices d’écritures afin de remplacer les terminaisons de nos mots genrés sans l’aide de tiret ou de point médian. Et ce procédé n’est pas nouveau, c’est tout simplement le principe de la ligature.



La ligature


En typographie, une ligature est la fusion de plusieurs caractères pour en former un nouveau. On distingue deux types de ligature : l’esthétique et la linguistique.


Pour ce qui est de la ligature esthétique, c’est un procédé d’écriture hérité de l’écriture manuscrite et présent dans de nombreux alphabets (latin, arabe, cyrillique, grec, etc). A l’origine, les ligatures esthétiques permettent une meilleure lisibilité de certaines typographies et un gain de place sur le papier. Bon après, on ne va pas se mentir, on n’est plus à l’époque de Gutenberg, on n’est pas à la feuille près. Aujourd’hui peu de personnes utilisent encore les ligatures esthétiques et les typographes ont aussi envie de se faire plaisir. Il existe donc certaines ligatures qui ne font gagner aucune place et qui sont là juste pour la beauté du caractère.


Les ligatures que vous connaissez sûrement et que vous utilisez, ce sont les ligatures linguistiques, ces caractères spécifiques comme le æ ou le œ. Leur rôle est de facilité la lecture en créant des liaisons et de facilité l’écriture également. On peut prendre l’exemple également de l’esperluette & qui est à l’origine une ligature esthétique de [et]. Celle-ci a tellement bien fait le job qu’elle a carrément une touche dédiée sur le clavier numérique de nos ordinateurs.



Maintenant si l’on prend la typographie“L’inclusif·ve”  de Tristan Bartolini, on découvre donc une typographie linéale(qui se caractérise par l’absence d’empattement). Le mot utilisé en titre de son livre donne un bon aperçu de l’exercice : le mot“L’inclusif” et“l’inclusive” sont mélangés par une ligature qui en est bien une puisque le caractère est un mélange entre le[f],[v] et[e] : 3 caractères qui n’en deviennent qu’un. la structure du[v] reste entière permettant au bas du[e] de se greffer dans sa diagonale de droite et au haut du[f] dans celle de gauche.


Quand à la collective Bye bye Binary, les typographies réalisées sont assez nombreuses et variées donc je ne prendrai que deux exemples d’une même font :



Ici dans le 1er exemple, on a un nouveau caractère composé de deux caractères existants [ée]. Ce qui est assez intéressant c’est que la répétition du premier [e] permet la reconnaissant visuel du second assez facilement sans perdre en lisibilité sur le mot.


Sur le second exemple trois caractères sont associés [xse], toute la complexité est évidemment dans le X et le S mais je trouve que la contre-forme (l’espace vide entre le x et le s) créée est assez élégante et que le fait d’avoir tronqué le s crée un respiration bienvenue dans la composition assez dense.


Pour moi c’est un pari réussi sur cette font là. L’avantage de cette font de la famille des Garaldes (ou Elzevir) avec des empattements à la Times ou la Baskerville c’est qu’on part d’une structure stable et un contraste entre les pleins et les déliés qui permet de structurer.


Aucun caractère n'a été blessé au cours de cet article


Au final rien de choquant donc ; notre bel alphabet latin n’est pas malmené, il est tout simplement enrichi. Au même titre que, chaque année, de nouveaux mots entrent dans le Larousse, de nombreux caractères ont fait leur entrée dans notre écriture tardivement. J’ai donc bon espoir que ces propositions inclusives se démocratisent et trouvent leur place dans notre façon d’écrire, d’autant plus qu’elles sont applicables dans de nombreux alphabets.


En 1971, l’informaticien Ray Tomlinson a envoyé le premier mail de l’histoire, et dans l’adresse il a choisit d’utiliser l’arobase @ comme séparateur. Un symbole datant de la renaissance et utilisé comme abréviation pour symboliser l’appartenance par les marchands, mais totalement oublié et inconnu du commun.


Comme quoi, parfois un caractère a besoin d’un peu de temps et d’un petit coup de pouce pour se faire apprécier à sa juste valeur.



 

Sources et ressources







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