J’ai grandi dans les années 90, dans une société où on m’a bien inculqué que le racisme, c’était très mal, et pourtant : j’ai vu, étant petite, des pubs racistes, des films racistes, j’ai entendu des “blagues” racistes, j’ai reproduit des comportements et des préjugés que j’ai dû déconstruire une fois adulte.
Et je pense que si on veut être de bon·nes allié·es, il faut faire un travail de parole entre personnes blanches. Il faut que les blancs allègent la charge mentale et sociale des personnes racisées. Il faut que les blancs parlent aux blancs du racisme. Mon objectif n’est pas de prendre la parole aux personnes concernées, mais d’ouvrir le dialogue à mon échelle auprès de mon entourage de travail qui est en grande majorité blanc et de rendre visible la parole des personnes concernées.
Parce que oui, je travaille souvent pour le milieu de la publicité et de la communication, pour des agences, des marques et j’ai essentiellement affaire à des personnes blanches comme moi. Et ça a commencé bien avant, pendant mes études.
“peut mieux faire”
Venant de banlieue parisienne, j’ai été très habituée à une importante mixité jusqu’au lycée. J’ai donc été assez perturbée de me retrouver dans des écoles d’arts et des prépas quasiment exclusivement entre blancs. Hina Hundt, qui est illustratrice, en parle dans le podcast Kiffe Ta Race. Elle en parle mieux que moi en tant que personne concernée, allez l’écouter et allez la suivre sur les réseaux sociaux, elle fait un travail formidable.
L’écoute de ce podcast est entrée en résonance avec un de mes souvenirs de 1ère année d’école d’art : Durant un cours d’illustration, je me suis retrouvée face à une professeure contrariée, me posant des questions déplacées sur mes relations personnelles avec des personnes noires et voulant une justification plausible à mon choix : j’avais sur mon affiche dessiné un petit garçon noir. Il n’y avait aucune revendication derrière, uniquement un choix artistique. Mon affiche avait une dominante de jaune et j’aime le contraste de cette couleur avec les peaux foncées, voilà tout.
J’ai été assez perturbée par son comportement, mais j’ai tenu bon, aucun de mes arguments n’a satisfait cette professeure et j’ai eu une note assez mauvaise. J’ai peu de doute sur les raisons de cette note. Dans cette classe, il y avait 3 personnes d’origine asiatique, et 26 personnes blanches, aucune personne noire. Je peux compter sur les doigts d’une main les rares d’entre nous qui ont intégré des personnages racisées dans leurs projets d’étudiants et clairement personnes n’allait nous y pousser.
(Soyez rassurés, cette enseignante n’a pas fini l’année, elle a été très vite remplacée).
Il faut qu’on dessine plus de personnes racisées, qu‘importe notre couleur de peau. Et dessiner des personnes racisées demande que ce soit fait sans perpétuer de clichés racistes : la journaliste Rokhaya Diallo raconte dans ce même épisode de podcast une anecdote incroyable au sujet d’une illustration sensée la représenter, allez l’écouter encore une fois, c’est édifiant.
“Elle ça doit être une bosseuse”
En 10 ans, j’ai travaillé pour différents clients avec une écrasante majorité de personnes blanches, dans le secteur du digital, de la communication et de la publicité. Et lorsqu’on est dans un entre-soi, qu’il soit de genre, de couleurs ou de milieu social, on sait très bien ce qui se passe : les gens se permettent des paroles et des comportements inappropriés en toute légitimité.
On entend des “blagues” racistes mais “ça va, c’est pour rire, on ne le pense pas”, on n’embauche pas une femme voilée parce qu’on a peur qu’elle soit mal à l’aise dans un pôle exclusivement masculin, on entend des collègues à la machine à café érotiser leur unique collègue racisée ou encore que telle recrue va être “une bosseuse” parce qu’elle est d’origine asiatique. Moi-même, en tant que blanche, j’ai certainement dû avoir des propos racistes sans en avoir conscience, tout simplement parce que j’y suis conditionnée.
Il faut que nous nous parlions entre blancs. Il faut qu’on arrête de rire à la blague raciste de notre collègue “pour ne pas casser l’ambiance”, c’est lui qui casse l’ambiance. Il faut qu’on embauche des personnes racisées en entreprise, et pas juste une ou deux pour soulager nos consciences. Il faut qu’on fasse remarquer à notre collègue à la machine à café que sa remarque est raciste, et il faut qu’on dise à notre boss que le risque ce n’est pas que cette femme voilée soit mal à l’aise dans une équipe exclusivement masculine, mais que cette équipe soit tellement problématique qu’elle nous empêche d’embaucher. C’est à nous de remettre nos collègues blancs à leur place et de réfléchir à nos comportements personnels.
“J’adore la propal, est ce qu’on pourrait avoir une version moins …”
L’un des plaisirs que j’ai aujourd’hui en étant freelance, c’est que, la plupart du temps, je peux choisir mes clients. Et j’essaie de me tourner essentiellement vers des clients dont j’ai l’assurance de partager les mêmes valeurs.
J’ai été pendant plusieurs années en agence de communication et j’ai dû répondre à des demandes racistes :
on m’a demandé de ne pas mettre de photos de femmes “méditerranéennes” (c’est-à-dire uniquement des femmes blanches aux cheveux chatains).
On m’a demandé d’éclaircir la peau de tel personnage dans une illustration, puis de l’éclaircir encore un peu plus.
On m’a demandé de modifier le nez d’un personnage parce qu’il faisait “trop juif”.
On m’a demandé de ne pas mettre de photos de femmes asiatiques.
On m’a demandé de montrer de la diversité dans une illustration mais de rester en monochrome pour qu’on “ne voit pas les couleurs de peaux”.
Je ne vous ferais pas la liste entière. J’ai parfois réussi à gagner certaines batailles, souvent j’ai perdu et la majorité du temps je n’ai pas osé refuser. Dans tous les cas, le malaise était présent et ma position par rapport à l’entreprise pour qui je travaillais était compliquée et eux n’allaient rien dire aux clients par peur de les perdre. J’ai pensé plusieurs fois au fait que ces client·es n’avaient pas vu mon visage. “Et si je n’étais pas blanche ?” Clairement eux ne l’ont à aucun moment envisagé.
Il faut que nous représentions mieux la diversité. Il faut dire à un client que sa demande est raciste. Il faut refuser de travailler pour ceux qui ne veulent pas entendre nos remarques. Il faut refuser de blanchir les personnages dans nos illustrations. Aujourd’hui je suis en position de le faire en étant freelance, mais il faut le faire en entreprise également. Et si vous n’avez pas un poste qui vous permet de présenter un refus à un client, parlez-en avec vos supérieurs, ils ne sont pas forcément au courant de ce qu’on vous demande de faire.
Travail en cours …
Je n’écris pas ce billet avec la profonde conviction d’être pleinement déconstruite, de ne jamais faire d’erreur et d’être une experte de l’anti-racisme.
Ce que je peux faire, c’est continuer à être une meilleure alliée pour les personnes racisées et cela passe par parler de mon vécu en tant que designer et illustratrice blanche dans un environnement de travail très blanc. Ça passe par : s’informer, refuser de bosser pour des clients/projets racistes, écouter et diffuser la parole des personnes concernées, embaucher des personnes racisées, …
… et il faut que les blancs parlent aux blancs.
Ressources
Kiffe ta race (podcast)
Grace Ly (autrice)
Rokhaya Diallo (journaliste)
Hina Hundt (illustratrice)
Histoire crépue (histoire et actu)
Sans blanc de Rien (pédagogie et actu)
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